Une ascension avec Emily Harrop, championne de ski alpinisme

An ascent with Emily Harrop, ski mountaineering champion

Quatre globes de cristal, des victoires sur les plus grandes courses du planisphère, une invincibilité historique en Coupe du Monde : la vitrine des trophées d’Emily Harrop est décidément bien garnie. Ce qui explique les succès de la jeune skieuse alpiniste ? Un talent hors-norme doublé d’une force de travail véritable, une personnalité solaire, une détermination profonde et une passion authentique pour son terrain d’expression : la montagne. Autant d’arguments que l’athlète franco-britannique va empaqueter à l’heure de finaliser son baluchon pour Bormio, où le ski alpinisme, discipline originelle aussi spectaculaire qu’exigeante, fera son entrée dans la prestigieuse famille olympique. Un test grandeur nature pour un sport et une championne qui ont le vent en poupe.

Nous avons rencontré Emily Harrop, au cœur de sa préparation estivale pour les JO, au détour d’une interview peu commune, menée en 10 questions, comme une ascension en ski de randonnée. Suivez la guide, celle qui met la manière avant la médaille !

AU REFUGE, AVANT LE DÉPART, ON COLLE LES PEAUX SOUS LES SKIS...

Quel bilan dresses-tu de la saison passée ? D’un point de vue extérieur, elle semble proche de la perfection puisque, invincible, tu as remporté l’ensemble des manches de Coupe du Monde de sprint...

Emily Harrop : Forcément, les résultats sont flatteurs. Il paraît difficile de faire mieux d’un point de vue statistique. Pourtant, ce qui me rend le plus fière, c’est le processus. J’ai vraiment eu la sensation de passer un cap dans ma démarche d’athlète. J’ai abordé chaque épreuve, non pas dans l’optique de la gagner, mais dans l’idée de valider un objectif ‘de manière’ : gérer la pression, tenter une stratégie, m’adapter à un changement matériel, appréhender différents scénarios de course... Je n’étais pas forcément en quête de victoires, mais plutôt en recherche d’apprentissage, d’expérience, de nouveauté. Ça m’a profondément motivé de m’exposer à autre chose que la performance pure. Pour assumer ce pas de côté dans mon approche, je me suis entourée. Mes préparateurs mentaux et mes coachs m’ont accompagné sur le chemin de la réflexion, ils m’ont fait comprendre que c’était le bon moment dans ma carrière pour effectuer ce ‘switch’. Ce fut passionnant, car j’ai eu l’impression de jouer, de m’amuser, et au final, en m’éclatant toute la saison, j’ai remporté l’ensemble des manches de Coupe du Monde de sprint. C’est dingue !

« J’ai eu l’impression de jouer, de m’amuser, et au final, en m’éclatant toute la saison, j’ai remporté l’ensemble des manches de Coupe du Monde de sprint. »

Avant d’entamer la montée, peux-tu nous raconter la base de ta passion ? Comment as-tu découvert ce sport et quel lien t’unit à la montagne ?

Je suis née à Bourg-Saint-Maurice, de parents britanniques, qui se sont installés dans les Alpes par amour de la nature. Je suis donc mi-anglaise, mi-française et 100% savoyarde. Contexte familial oblige, j’ai grandi sur des skis, bercée par cette passion pour la montagne. J’ai débuté très tôt par le ski alpin, dans une démarche de haut-niveau qui m’a menée du sport-études jusqu’au circuit FIS (Fédération Internationale de Ski) en passant par le Comité. Les blessures à répétition ont cependant freiné mes ardeurs et suite à plusieurs saisons blanches, j’ai décidé d’arrêter. Néanmoins, j’ai toujours adoré les séances de préparation physique. Je tirais mon épingle du jeu dans ces sessions où il s’agissait de se dépasser, d’aller le plus loin possible. Vivre entourée de parents sportifs m’a naturellement amené à reporter cette appétence pour l’effort sur des sports d’endurance, comme le vélo et le ski de randonnée. En 2018, j’ai ainsi épinglé mes premiers dossards en ski alpinisme, puis en 2020, j’ai structuré mon approche en sollicitant un coach : à parti de là, j’ai décroché mes premières sélections en équipe de France, et depuis, j’essaye de franchir les étapes, les unes après les autres...

LES PREMIERS DÉNIVELÉS : ON TROUVE LE RYTHME...

Le ski alpinisme va faire son entrée aux Jeux Olympiques dans quelques mois, lors des JO 2026 de Milan Cortina. Cette échéance modifie-t-elle ta préparation estivale, au regard de ce que tu avais l’habitude de faire au préalable ?

J’ai toujours été adepte d’apporter quelques ajustements à chaque préparation. L’idée n’est pas de tout révolutionner – d’autant plus quand cela fonctionne – mais de progresser, en ajoutant de la nouveauté chaque année, de façon incrémentale. Ceci permet aussi de se prémunir du risque de lassitude, d’attaquer ce travail de l’ombre avec de la fraîcheur mentale, d’attiser l’envie par l’innovation. Très concrètement, cet été, la FFME (Fédération Française de Montagne et d’Escalade) nous accorde plus d’autonomie sur les mois de juillet et août, pour ensuite densifier les stages à partir de septembre. J’en profite donc pour organiser mon propre camp d’entraînement à Font-Romeu, afin de faire connaissance avec ce lieu mythique du sport français ; avant d’enchaîner les temps en équipe, notamment au Stelvio et à Tignes, où l’on va rechausser les skis à partir d’octobre. On décollera ensuite pour les États-Unis, fin novembre, en vue de la première manche de Coupe du Monde d’une saison dont le point d’orgue seront les Jeux Olympiques, à Bormio, fin février. Le véritable changement ne réside donc pas dans la préparation mais dans la manière d’appréhender les manches de Coupe du Monde, envisagées cette fois-ci comme des répétitions générales pour créer de la confiance et des automatismes en vue des JO plutôt que comme des finalités.

« Le véritable changement ne réside donc pas dans la préparation mais dans la manière d’appréhender les manches de Coupe du Monde, envisagées cette fois-ci comme des répétitions générales pour créer de la confiance et des automatismes en vue des JO plutôt que comme des finalités. »

Peux-tu nous décrire une journée-type au cœur de l’équipe de France, durant ces stages de préparation aux Jeux Olympiques ?

Le réveil sonne à 6h45. Il est suivi d’un petit-déjeuner copieux puis d’un trajet de 45 min en navette pour accéder au glacier, le seul endroit où l’on peut trouver de la neige à l’automne. On effectue alors 3h30 de ski à basse intensité, en endurance : c’est ce que l’on appelle ‘faire du volume’ en altitude. Après cela, on déjeune – à nouveau avec appétit mais pas trop, pour éviter de rendre notre repas sur la piste, l’après-midi – puis on sieste. À 16h, on entame le deuxième entraînement du jour – le plus dur, le plus intense – sur les skis ou en baskets. Il s’agit généralement d’un travail à VO2, de PMA (Puissance Maximal Aérobie) ou de sessions lactiques. Ces dernières sont les plus redoutables. Cela consiste à enchaîner les efforts maximaux de 20 à 30 secondes, en confrontation directe avec des coéquipiers, avec la consigne du ‘zéro gestion’ ! Après ça, nous rentrons pour des soins avec les kinés. Et s’enchaînent enfin un petit brief convivial vis-à-vis du programme du lendemain, le dîner et une partie de cartes avant d’aller se coucher vers 22h. Cela peut paraître fastidieux, pour ne pas dire militaire, mais moi, c’est une routine qui me rend heureuse !

« Cela peut paraître fastidieux, pour ne pas dire militaire, mais moi, c’est une routine qui me rend heureuse ! »

La vie d’une athlète de haut-niveau est faite de rigueur et d’exigence. Quels sont les éléments concrets de discipline au quotidien qui font que ta vie n’est pas totalement normale ?

Je suis ravie d’évoquer le terme de ‘discipline’ plutôt que celui de ‘sacrifice’. Car même si cette rigueur requiert un investissement physique et mental, je l’appréhende comme un choix plutôt que comme une contrainte. Ce quotidien m’épanouit et me rend heureuse. Me consacrer à mon sport, bien manger, bien dormir, être en pleine forme et en bonne santé, c’est une vie de rêve ! De mon point de vue, le seul élément véritablement difficile à gérer, c’est d’accepter passer à côté de certains moments conviviaux – pas tous, mais certains – avec ses proches, en famille ou entre amis, et refuser, à contre-cœur, d’y participer car l’on sait que cela va nous coûter plus d’énergie que cela va nous en apporter. Cela fait partie du métier ! Je reste néanmoins optimiste : j’ai l’impression qu’avec l’expérience, on apprend à mieux les identifier !

« Le seul élément véritablement difficile à gérer, c’est d’accepter passer à côté de certains moments conviviaux – pas tous, mais certains – avec ses proches, en famille ou entre amis. »

LE COULOIR TECHNIQUE : L’EFFORT INTENSE, LES DOUTES, LA PRESSION...

Tu es la numéro 1 de ta discipline, et donc identifiée comme une vraie chance de médaille française pour les Jeux Olympiques à venir. Comment appréhendes-tu ce statut ? Est-ce que cela génère une forme de pression ? Et si oui, comment la gères-tu ?

Depuis que nous avons appris l’entrée du ski alpinisme aux JO, nécessairement, notre focus s’est porté sur cette échéance ! C’est un rêve de pouvoir y participer. Que celui-ci se réalise bientôt génère forcément de l’excitation. Enfin, on va toucher du doigt la concrétisation de cette chose dont on nous parle depuis des années. Au-delà de cette impatience, ce serait mentir que d’affirmer qu’il n’y a pas une légère appréhension liée à la pression. Mais j’apprends à la gérer, petit à petit. J’évolue avec le statut de favorite depuis plusieurs saisons maintenant. J’ai beaucoup progressé à cet égard. Je m’y prépare, aussi. Je pense qu’être consciente de cet emballement médiatique à venir me rend attentive et vigilante, ce qui est déjà, en soi, un premier élément de réponse. Je demeure également très alerte sur le fait de ne jamais me sentir satisfaite. Je cultive cette phobie de me réveiller, un jour, et sentir que c’est acquis. Je fuis ce sentiment. J’essaye de trouver la fine frontière entre la confiance en soi – je suis capable de le faire – et le trac, la curiosité et la volonté d’optimiser pleinement mon potentiel. Cette curiosité est mon principal bouclier pour me protéger de la pression.

« Cette curiosité est mon principal bouclier pour me protéger de la pression. »

Cette saison, tu as remporté l’ensemble des manches de Coupe du Monde ; mais tu t’es inclinée sur les Championnats du Monde. Quelle fut la saveur de cette deuxième place ? Quels apprentissages en as-tu tiré ?

Les Championnats du Monde constituaient mon principal objectif de la saison, au même titre que le globe de cristal, qui récompense la régularité et la victoire au classement général de la Coupe du Monde. Pourquoi ? Car il s’agissait d’une course d’un jour, comme aux JO. Cette matinée-là, j’ai été battue par plus forte que moi. Marianne Fatton s’est montrée plus intelligente et habile dans la gestion de son effort. Au début, je l’ai vécu comme un échec, mais rapidement, j’ai rebondi pour y ancrer des vecteurs de progression. Notamment sur le fait de se faire plus confiance pour accepter aller plus lentement sur les manches de qualification. Le sprint, en ski alpinisme, ce n’est pas qu’un truc de bourrin ! Il faut en effet déployer une certaine finesse dans la stratégie : comment aller le plus vite possible sur des manches de 3 min au cœur d’une épreuve qui dure en réalité 4 heures ?

« Se faire plus confiance pour accepter aller plus lentement sur les manches de qualification. »

L’ARRIVÉE AU SOMMET : LE REGARD SE PORTE AU LOIN

Quels espoirs fondes-tu sur l’entrée du ski alpinisme aux Jeux Olympiques ? Quelle est ta vision sur le tournant qu’est en train de prendre ton sport ?

Tout d’abord, j’espère que le sport va plaire, que l’aura olympique va apporter un véritable coup de projecteur sur le ski alpinisme. Et que cette dynamique portée par le sprint – ma discipline – ruisselle sur l’ensemble du sport, notamment les épreuves les plus longues, plus proches des formats originels. Si les JO créent un élan et donnent envie aux jeunes de pratiquer, tout en respectant nos valeurs fondamentales, alors je serais comblée.

« Si les JO créent un élan et donnent envie aux jeunes de pratiquer, tout en respectant nos valeurs fondamentales, alors je serais comblée. »

Et plus personnellement, quelles sont tes ambitions pour ces Jeux Olympiques ? Es-tu plus focalisée sur la manière ou sur la médaille ?

Je suis concentrée à 100% sur la manière, sur le chemin à parcourir. Mon ambition – sincère, profonde, sans langue de bois – c’est d’arriver à exprimer mon plein potentiel le Jour J. Pour cela, il faut que je kiffe ma préparation et qu’ensuite, je prenne le départ avec l’envie de jouer, de croquer dedans à pleines dents, sans pression inhibante liée au statut de favorite. Si je réussis à construire cet état d’esprit positif, j’ai la conviction qu’un bon résultat découlera naturellement. Et enfin, si par cette performance, ce sport que j’aime profondément gagne en reconnaissance et suscite des vocations, alors il sera difficile d’effacer le sourire qui se dessinera sur mon visage...

LA DESCENTE : PRENDRE DU PLAISIR ET LÂCHER PRISE

Quels sont les produits Sidas qui t’accompagnent dans ta pratique du sport au quotidien ?

Disons que ma sélection suit les saisons. Durant la préparation estivale, je ne quitte pas les chaussettes de running Run Anatomic Crew, que j’utilise sur toutes mes séances sans exception, qu’il s’agisse de trail, de course à pied, de vélo ou de musculation. J’adore leur légèreté ainsi que leur fit ! Elles sont simples, précises, techniques et redoutablement efficaces. J’ai d’ailleurs hâte de recevoir le ‘promodel’ designé par Caitlin Fielder, car en tant qu’athlètes, on n’accorde pas assez d’importance à l’esthétisme de nos chaussettes ! (Sourire) L’hiver, je bascule sur les chaussettes de ski de randonnée Ski Touring femme, qui m’accompagnent aussi bien en compétition qu’à l’entraînement. Elles me permettent d’oublier mes pieds, de ne pas penser à d’éventuelles douleurs dans les chaussures de ski, à me concentrer sur le seul et unique instant présent, et ça, c’est une véritable plus-value en termes de performance !

« Mes chaussettes me permettent d’oublier mes pieds, de ne pas penser à d’éventuelles douleurs dans les chaussures de ski, à me concentrer sur le seul et unique instant présent, et ça, c’est une véritable plus-value en termes de performance ! »

Pour finir, avant de filer au chocolat chaud, as-tu une anecdote ou une routine que tu pourrais nous partager ?

Lors des compétitions de sprint, plusieurs dizaines de minutes peuvent s’écouler entre les différentes manches. À ce moment-là, j’ai mis en place une petite routine à la vertu extrêmement apaisante. Il s’agit d’un travail de respiration couplé à de la visualisation. Je m’imagine skier à la pointe de la Combe-Bénite – un spot incroyable juste à côté de la maison – dans des conditions de rêve qui réunissent neige fraîche et grand soleil. Cela me permet de faire redescendre la pression avant de retourner m’échauffer pour le round suivant !